Thursday 27 November 2008

Premières Neiges

Il neige à Nijni !

Mieux vaut tard que jamais, dit le dicton. Car en effet, cela fait longtemps que nous attendions que la ville se couvre de son manteau blanc. Habituellement, c'est pour la fête de la Révolution (aujourd'hui remballée au placard pour changement officiel d'idéologie) que débarque la poudreuse. Or, elle est arrivée cette année avec plus d'un mois de retard. Les baboushki* se lamentaient chaque jour de plus belle, tandis que les jeunes filles regardaient par la fenêtre pensant désespérément que leur beau manteau de fourrure resterait à nouveau dans l'armoire, puisque la neige ne se décidait pas à venir.
Et puis, un matin, j'ai ouvert la porte et me suis retrouvée nez à carotte avec un bonhomme de neige qu'avaient modelé des enfants malicieux. La ville marche désormais au ralenti, avec un étrange silence, car tous les bruits sont étouffés par l'épaisse pelisse de flocons dont s'est enveloppé Nijni.

Cela ressemblerait fort bien à un tableau idyllique (allez, avouez, vous vous attendiez déjà à ce que je vous décrive les ours se baladant main dans la main dans la rue, les Russes ivres morts proposant de la vodka à la ronde pour aider leurs compatriotes à se protéger du froid, n'est ce pas ?) si ce n'était la présence de vicieux petits détails qui accentuent décidément le pittoresque et la festivité de la chose.

*Les Russes n'ont rien à envier aux Alpes : mis à part le relief, tout y est à l'identique : la température, la demi-tonne de poudreuse par mètre carré, le frimas... sauf que les autochtones n'ont pas encore compris que dans ces conditions extrêmes, les moonboots (vous savez ces grandes chaussures immondes mais SI confortables ?), les lunettes de ski et la grosse vilaine cagoule sont de rigueur. Au contraire, ici, les sports d'hiver se pratiquent en escarpins s'il vous plaît. Il est certain qu'avec mes six centimètres de talons, je m'agrippe solidement au verglas, tel un véritable alpiniste, mais pour courir attraper le bus c'est légèrement moins pratique. Les Russes rivalisent d'élégance : leurs manteaux sont en fourrure (j'avoue avoir laissé quelque peu tomber mes maximes écologiques étant donné l'ampleur du massacre de renards, hermines et autres inoffensives bestioles), les bottes en cuir verni, les peaux toujours aussi bien maquillées...

*Certains m'en voudront pour toujours mais il me faut casser un mythe : la CHAPKA n'est plus à la mode. Je n'ai vu aucun Russe digne de ce nom en porter une. Seuls mes parents ont osé, et on nous remarquait à cent lieues. Cette nouvelle ne provoque pas seulement, j'en suis sûre, le désarroi des vendeurs de chapkas mais aussi celui de tous ceux qui, comme moi, avait surabusé de films soviétiques et romances tolstoïennes. Ah, malheur, lorsqu'on voit ces fiers Russes arborer de pathétique bonnets en cachemire indien ou angora chinois, on se dit que la mondialisation n'a pas que du bien...

*Cela fait longtemps que je m'en doutais, mais désormais, je le sais, j'ai des preuves irréfutables. Voilà maintenant trois mois qu'un immense complot s'organise à Nijni-Novgorod, lieu de tous les vices politiques. Que ce soit les thermomètres ou la dame météo du TF1 local, tous s'accordent à indiquer toujours six bons degrés celsius de plus que ceux que ressent notre corps glacé jusqu'à la moelle. Et les scélérats poussent même la perfidie à falsifier non seulement la température ambiante mais aussi l'heure indiquée !
Exemple : L'écran géant de la place Ménine annonce -6° puis clignote pour afficher l'heure. Il est 15h23, le prochain bus sera d'ici maximum vingt minutes. Non seulement je me congèle le cerveau et les miches dans des conditions extrêmes en l'attendant une bonne heure, mais en plus, le même écran OSE afficher qu'il n'est que 15h32 (à peine dix minutes se seraient donc supposément écoulées depuis mon dernier coup d'oeil) mais EN PLUS, que la température est remontée de trois bons degrés. Or je sais parfaitement qu'il n'en est rien, mais qu'en une heure nous avons pu à la fois frôlé les -15°c et faire un coucou à la calotte glaciaire.
Curieusement, les autobus se font davantage attendre quand il neige, comme si les mouvements de grève russes inexistants s'autocoordinaient avec le climat. Je peux même vous dire que lorsqu'on est en jupe, l'attente s'intensifie d'autant plus... pour mon plus grand bonheur (cherchez l'erreur).

*J'envisage sérieusement depuis l'arrivée du premier flocon de m'acheter une luge, ou au moins, une paire de skis Rossignol (pub pub). Car, une fois expérimentées les joies du coccyx endommagé pour cause de chutes intempestives, on se dit que les talons de six centimètres, ce n'est finalement pas ça qui nous rend stables sur le verglas nijnois. Pourtant, les jeunes slaves environnantes semblent bien s'y accommoder, et je donnerais ma main à couper (ou presque) qu'elles seraient capables de nous improviser de la gymnastique acrobatique sur cette horrible chaussée glissante. Ce n'est en tout cas pas mon cas, et si je n'écoutais pas autant mon irrépressible désir d'intégration, j'enfilerais aussi sec mes bonnes bottes de neiges. Et mes lunettes de ski : comment donc voir à travers cette avalanche permanente de flocons quand on n'est ni le Yéti-des-Glaces, ni Russe depuis son bas-âge ?


Vous l'avez compris, on différencie facilement les autochtones de l'étranger perdu dans l'hiver russe. Ce dernier a cru à tort que de telles conditions climatiques autorisait un relâchement vestimentaire, tandis que les natifs semblent tout droit sortis de la dernière boîte à la mode, malgré le froid environnant. Il pense de plus que la chapka est une preuve d'intégration dans la société locale, alors que celle-ci voit aussitôt en lui un touriste égaré et pro-communiste. Enfin, on le distingue par l'étrange forme de ses fesses (il a caché un oreiller pour protéger son humble derrière des prochaines glissades).

. . .

Néanmoins, il a un avantage... lui seul sait que mentent les thermomètres et la dame météo. (cette vieille bique, je la retiens !)



* pluriel de baboushka, bande d'ignares !