Saturday 26 December 2009

Joyeux Noël !
Merry Christmas !

С Рождеством !

Le mirage Dimitri Medvedev

L’actuel maître du Kremlin est insaisissable : bien qu’il jouisse d’une réputation d’honnête technocrate dans les cercles diplomatiques, le bilan de son premier mandat est digne de l’intransigeance de son mentor, Poutine. Et si Dimitri Medvedev n’était qu’un mirage ?

Dimitri Medvedev titube sur ses skis. Sa descente est pénible, hasardeuse, tandis que Vladimir Poutine slalome sans efforts jusqu’au bout de la piste enneigée. Une fois arrivé en bas, Medvedev, engoncé dans sa combinaison de ski rouge vive, adresse un sourire épuisé aux caméras omniprésentes et propose, essoufflé : « Et si nous allions prendre un thé ? ». Mais Poutine ne l’entend pas de cette oreille et pousse son protégé vers un télésiège : c’est parti pour un nouveau tour de piste.

La scène se passe en 2007. Difficile alors d’imaginer que le rondouillard Medvedev sera choisi par Poutine pour lui succéder comme président de la Fédération Russe. Les candidats au poste sont alors nombreux et redoutables : Sergueï Ivanov, entre autres est réputé pour sa poigne de fer et sa rhétorique acerbe. De quoi plaire à l’homme aux yeux d’acier. Pourtant, Poutine optera pour l’aspect bonhomme et avenant de Medvedev, capable de rassurer un Occident éprouvé, après deux mandats d’intransigeance poutinienne. L’ancien professeur de droit et dirigeant de Gazprom présente plusieurs avantages : non seulement il est attaché aux valeurs démocratiques – ce qui est somme toute assez rare parmi l’élite russe – mais il manie aussi avec virtuosité le jargon diplomatique et les formules de politesse. Face à la douceur de Medvedev, le cœur du diplomate européen fond, lui qui jusque là avait été glacé par la rigueur de Poutine. « Je suis prête à travailler avec lui », déclare Angela Merkel, sous le charme. Pour Marie Jégo, correspondante du journal Le Monde à Moscou, l’opération séduction de Medvedev ne s’est pas limitée aux diplomates mais a touché aussi le monde des médias : « A son arrivée au pouvoir, Medvedev a réuni tous les correspondants étrangers autour d’une table. Il nous a demandé si nous avions des questions et a tenté de répondre à chacune d’entre elles. Il était extrêmement calme et nous avons pu avoir une vraie conversation. Cela aurait été inimaginable du temps de Poutine. »

Des idéaux démocratiques de Medvedev, rien ou peu ont survécu à un an de mandat. « Je ne comprends pas pourquoi Medvedev est perçu comme un libéral en Occident », s’interroge le bloggeur russophile Alexandre Latsa. « Il fait exactement la même politique que Poutine ! ». Parce qu’il sait préserver les apparences et donner l’impression à chaque partie d’avoir remporté un compromis avantageux, Medvedev, sans effrayer outre-mesure l’Union Européenne, réussit à faire passer les politiques phares de Poutine. Fin 2009, le bilan de ses dix-huit premiers mois de mandat est à faire pâlir d’envie Poutine : l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie sont reconnus comme états indépendants par la Russie et l’Union Européenne s’apprête à financer la stratégie énergétique russe en payant de sa poche les gazoducs North Stream et South Stream. Cerise sur le gâteau : que ce soit avec Barack Obama ou avec Nicolas Sarkozy, les relations du président russe sont au beau fixe avec ses homologues, situation méconnue du temps de Vladimir Poutine.

Mais s’il a fait rapidement ses preuves auprès de la communauté internationale, la partie a été plus difficile avec les Russes. Si ces derniers lui ont accordé massivement leurs votes, c’est avant tout parce que Medvedev avait été adoubé par Poutine et que sa volonté de prolonger la politique de son mentor était clairement affichée. Mais reste qu’une fois élu, les Russes restent perplexes quant à leur président. « Il est un peu gros, il n’est pas crédible », expliquait en faisant la moue Maria Smirnova, étudiante en faculté de communication, au lendemain de l’élection de mars 2008. « La Russie a l’habitude d’avoir un président fort, Medvedev paraît vraiment amateur par rapport à Poutine. » Qu’à cela ne tienne, Poutine gommera les derniers défauts de son poulain pour que celui-ci puisse gagner en légitimité auprès de son peuple. Medvedev se met au sport sur les conseils de son mentor devenu coach, et refuse désormais les verres de vodka allègrement proposés lors des visites officielles. Il est loin l’homme qui, en 2004, acceptait avec gourmandise un bonbon de la part du président ukrainien, Leonid Koutchma, lors d’une cérémonie militaire. A force de privations, l’actuel résident du Kremlin a perdu sa brioche et possède une musculature aussi impressionnante que celle de Poutine, de treize ans son aîné. Seules les épaules un peu voûtées du président inquiète encore son mentor, qui lui commande des costumes à épaulettes. Mais Medvedev ne s’est pas contenté de s’approprier de la carrure de Poutine, il a aussi poussé le zèle jusqu’à s’emparer de sa gestuelle et de ses intonations.

Jouant au Pygmalion avec virtuosité, Poutine peut être fier du résultat : Medvedev est un véritable bijou de communication. A l’instar de Janus, il possède deux visages mais sans perdre de sa cohérence : l’un, destiné aux Russes, est celui d’un ectoplasme exécutant les ordres de son mentor avec le sourire et sans ambitions. L’autre, destiné à l’Occident, est celui d’un libéral rêvant de changement– en témoigne son discours à la Douma du 12 novembre 2009 où il pointe les travers de la Russie moderne – et de pouvoir : comme il l’a annoncé à la presse jeudi dernier, il n’exclut pas de se présenter aux élections présidentielles de 2012. Aucun des deux visages présenté par Medvedev ne semble cohérent. Et si le véritable Medvedev n’existait pas ? Et s’il n’était qu’un mirage de communication de Poutine créé de toutes pièces pour les besoins de sa communication ? Une bonne façon de se maintenir au pouvoir sans y perdre au change…


Thursday 3 December 2009

Interview avec DIDIER CHAUDET, réalisée le 30 novembre 2009, soit AVANT le discours d'Obama du 1er décembre


« OBAMA préfère sacrifier la cohérence de sa stratégie en Afghanistan plutôt que sa réélection. »


L’annonce de la nouvelle stratégie militaire de Barack Obama est l’occasion de faire le point sur la guerre en Afghanistan. Didier Chaudet, enseignant à Sciences Po et ancien chercheur à l’IFRI, explique pourquoi ce conflit est devenu en huit ans un bourbier dans lequel risque de s’enliser le président américain.

Selon un sondage de CNN, 62% des Américains considèrent que la guerre ne sera jamais gagnée en Afghanistan. Comment expliquer ce défaitisme ?

Certes, la situation est difficile, voire inquiétante en Afghanistan. Mais si l’opinion publique américaine tient pour acquise la défaite des Alliés, c’est avant tout parce que l’administration Bush lui avait présenté jusqu’à récemment la guerre comme gagnée. Dès 2002, le gouvernementa maquillé la réalité : chaque demi-défaite a été transformée en victoire décisive. Ainsi, fin 2002, l’Opération Anaconda, qui a souffert d’importantes d’erreurs de coordination, a été mis en avant par le Pentagone comme un succès de l’armée américaine. Et cela n’a été ni le premier ni le dernier mensonge de Georges Bush, dont la priorité est vite devenue la guerre en Irak.

En voyant l’Afghanistan disparaître de la Une des journaux, sauf lorsque de bonnes nouvelles tombaient, l’opinion publique américaine ena déduit que la guerre était sur le point d’y être gagnée. Avec l’arrivée de BarackObama, qui a choisi de ne plus mentir sur la situation en Afghanistan, les Américains sont tombés de haut : au moins un quart du pays est tenu par les Talibans et les positions des troupes américaines sont chaque jour menacées. On est loin de la victoire rapide promise par Bush.


Comment expliquer l’échec patent de la guerre menée par Bush ?


Après le choc des attentats du World Trade Center, l’ancien président des Etats-Unis ne pouvait faire autrement que promettre la tête de Ben Laden aux Américains. La guerre en Afghanistan a été décidée dans la précipitation et dans la méconnaissance la plus totale de ce pays. Dès le début, c’est une opération terrestre de grande envergure qui aurait dû être décidée, afin de démanteler les réseaux terroristes. Mais, aveuglé par la théorie de la guerre avec zéro mort – bien pratique pour conserver sa popularité –, Bush a opté pour des bombardements massifs dont les victimes étaient avant tout civiles. Ce qui a mis la population afghane à dos des Etats-Unis.

L’autre grave erreur de Bush a été de se détourner de l’Afghanistan très rapidement, pour l’Irak. Les troupes américaines stationnées en Afghanistan, aux effectifs déjà relativement peu nombreux, ont été déplacées en partie vers l’Irak, en prévision de cette guerre, puis pour tenter de stabiliser ce pays. Les positions des Etats-Unis ont été affaiblies ; les Talibans ont ainsi pu s’imposer de nouveau sur le terrain.

Mais la plus aberrante des erreurs stratégiques de l’ancien président est sans nul doute l’absence d’aides financières autres que militaires. Ce n’est que fin 2004, soit trois ans après le début du conflit afghan, que l’aide américaine s’est réellement fait sentir sur place. Il faut se rappeler que les Taliban ont totalement repris pied en Afghanistan début 2003…


Malgré les erreurs de son prédécesseur, Barack Obama peut-il encore espérer gagner la guerre ?


La force de la nouvelle stratégie d’Obama est d’avoir compris que le nerf de la guerre ne se trouve pas en Afghanistan mais au Pakistan. Ce dernier est dans une position très inconfortable : en cas de départ précipité des Américains, il se retrouve avec un voisin instable qui pourrait choisir de soutenir les Taliban pakistanais. On se retrouverait dans une situation classique de lutte nationaliste : les
Taliban afghans et pakistanais sont pachtounes, or la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan n'a jamais été accepté par le pouvoir afghan. Si certains membres des services secrets pakistanais semblent soutenir les Taliban contre Hamid Karzaï, c'est sans doute par simple patriotisme. Car, en admettant que le soutien pakistanais aux Taliban soit avéré, l’objectif des Pakistanais serait sans doute d'avoir un moyen de contrôle sur Kaboul en cas de désengagement des Américains. Le défi d’Obama est donc de rassurer le Pakistan sur la volonté américaine de mener le combat jusqu'au bout, ainsi que sur sa gestion de l’après-guerre.

L’envoi de 35 000 hommes en Afghanistan est-t-il un élément décisif ?

Bien qu’elle soit la plus cohérente à mes yeux, la stratégie contre-insurrectionnelle choisie par Obaman’a pas les moyens de réussir. Préconisée par le général de l’armée américaine Stanley McChrystal, elle consiste à augmenter les effectifs des troupes terrestres afin d’arrêter la progression des talibans. Or, ce n’est pas 40 000 hommes qu’il faudrait envoyer sur le terrain, mais le double, si l’on espère une action efficace ! Il faudrait également faire un effort accru de reconstruction et d’aide, en Afghanistan comme au Pakistan. Et lancer un processus de paix régional entre Inde, Pakistan, et Afghanistan, les problèmes sécuritaires en Asie du Sud étant tous connectés les uns aux autres. Mais Obama est dans une impasse à cause de l’Irak et de la réticence grandissante des Américains face à la guerre d’Afghanistan. Et comme tout homme politique, Obama préfère sacrifier la cohérence de sa stratégie plutôt que sa réélection.


A.LL.