Thursday 3 December 2009

Interview avec DIDIER CHAUDET, réalisée le 30 novembre 2009, soit AVANT le discours d'Obama du 1er décembre


« OBAMA préfère sacrifier la cohérence de sa stratégie en Afghanistan plutôt que sa réélection. »


L’annonce de la nouvelle stratégie militaire de Barack Obama est l’occasion de faire le point sur la guerre en Afghanistan. Didier Chaudet, enseignant à Sciences Po et ancien chercheur à l’IFRI, explique pourquoi ce conflit est devenu en huit ans un bourbier dans lequel risque de s’enliser le président américain.

Selon un sondage de CNN, 62% des Américains considèrent que la guerre ne sera jamais gagnée en Afghanistan. Comment expliquer ce défaitisme ?

Certes, la situation est difficile, voire inquiétante en Afghanistan. Mais si l’opinion publique américaine tient pour acquise la défaite des Alliés, c’est avant tout parce que l’administration Bush lui avait présenté jusqu’à récemment la guerre comme gagnée. Dès 2002, le gouvernementa maquillé la réalité : chaque demi-défaite a été transformée en victoire décisive. Ainsi, fin 2002, l’Opération Anaconda, qui a souffert d’importantes d’erreurs de coordination, a été mis en avant par le Pentagone comme un succès de l’armée américaine. Et cela n’a été ni le premier ni le dernier mensonge de Georges Bush, dont la priorité est vite devenue la guerre en Irak.

En voyant l’Afghanistan disparaître de la Une des journaux, sauf lorsque de bonnes nouvelles tombaient, l’opinion publique américaine ena déduit que la guerre était sur le point d’y être gagnée. Avec l’arrivée de BarackObama, qui a choisi de ne plus mentir sur la situation en Afghanistan, les Américains sont tombés de haut : au moins un quart du pays est tenu par les Talibans et les positions des troupes américaines sont chaque jour menacées. On est loin de la victoire rapide promise par Bush.


Comment expliquer l’échec patent de la guerre menée par Bush ?


Après le choc des attentats du World Trade Center, l’ancien président des Etats-Unis ne pouvait faire autrement que promettre la tête de Ben Laden aux Américains. La guerre en Afghanistan a été décidée dans la précipitation et dans la méconnaissance la plus totale de ce pays. Dès le début, c’est une opération terrestre de grande envergure qui aurait dû être décidée, afin de démanteler les réseaux terroristes. Mais, aveuglé par la théorie de la guerre avec zéro mort – bien pratique pour conserver sa popularité –, Bush a opté pour des bombardements massifs dont les victimes étaient avant tout civiles. Ce qui a mis la population afghane à dos des Etats-Unis.

L’autre grave erreur de Bush a été de se détourner de l’Afghanistan très rapidement, pour l’Irak. Les troupes américaines stationnées en Afghanistan, aux effectifs déjà relativement peu nombreux, ont été déplacées en partie vers l’Irak, en prévision de cette guerre, puis pour tenter de stabiliser ce pays. Les positions des Etats-Unis ont été affaiblies ; les Talibans ont ainsi pu s’imposer de nouveau sur le terrain.

Mais la plus aberrante des erreurs stratégiques de l’ancien président est sans nul doute l’absence d’aides financières autres que militaires. Ce n’est que fin 2004, soit trois ans après le début du conflit afghan, que l’aide américaine s’est réellement fait sentir sur place. Il faut se rappeler que les Taliban ont totalement repris pied en Afghanistan début 2003…


Malgré les erreurs de son prédécesseur, Barack Obama peut-il encore espérer gagner la guerre ?


La force de la nouvelle stratégie d’Obama est d’avoir compris que le nerf de la guerre ne se trouve pas en Afghanistan mais au Pakistan. Ce dernier est dans une position très inconfortable : en cas de départ précipité des Américains, il se retrouve avec un voisin instable qui pourrait choisir de soutenir les Taliban pakistanais. On se retrouverait dans une situation classique de lutte nationaliste : les
Taliban afghans et pakistanais sont pachtounes, or la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan n'a jamais été accepté par le pouvoir afghan. Si certains membres des services secrets pakistanais semblent soutenir les Taliban contre Hamid Karzaï, c'est sans doute par simple patriotisme. Car, en admettant que le soutien pakistanais aux Taliban soit avéré, l’objectif des Pakistanais serait sans doute d'avoir un moyen de contrôle sur Kaboul en cas de désengagement des Américains. Le défi d’Obama est donc de rassurer le Pakistan sur la volonté américaine de mener le combat jusqu'au bout, ainsi que sur sa gestion de l’après-guerre.

L’envoi de 35 000 hommes en Afghanistan est-t-il un élément décisif ?

Bien qu’elle soit la plus cohérente à mes yeux, la stratégie contre-insurrectionnelle choisie par Obaman’a pas les moyens de réussir. Préconisée par le général de l’armée américaine Stanley McChrystal, elle consiste à augmenter les effectifs des troupes terrestres afin d’arrêter la progression des talibans. Or, ce n’est pas 40 000 hommes qu’il faudrait envoyer sur le terrain, mais le double, si l’on espère une action efficace ! Il faudrait également faire un effort accru de reconstruction et d’aide, en Afghanistan comme au Pakistan. Et lancer un processus de paix régional entre Inde, Pakistan, et Afghanistan, les problèmes sécuritaires en Asie du Sud étant tous connectés les uns aux autres. Mais Obama est dans une impasse à cause de l’Irak et de la réticence grandissante des Américains face à la guerre d’Afghanistan. Et comme tout homme politique, Obama préfère sacrifier la cohérence de sa stratégie plutôt que sa réélection.


A.LL.

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